Devant le Tribunal : ils accusent leur voisin d’être à l’origine de leur pauvreté

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Devant le Tribunal

Le mardi 11 février 2025, K. Jean Baptiste, 24 ans, et K. Sylvain, 21 ans, deux frères apprentis maçons, comparaissaient devant le Tribunal de grande instance Ouaga 1 pour répondre des faits d’accusation de pratique de sorcellerie et de dégradation volontaire de biens au préjudice de S. Boukari. Ils sont accusés d’avoir imputé à leur voisin l’origine de la pauvreté et des malheurs qui s’abattent sur leur famille, en l’accusant de sorcellerie. À la barre, les prévenus ont tenté de nier les faits.

Le 7 décembre 2024, vers 16 heures, K. Sylvain s’est rendu chez son voisin S. Boukari pour en découdre avec lui, persuadé qu’il était responsable de la misère familiale. Trouvant le portail de la cour fermé, il s’est mis à le frapper violemment tout en proférant des injures et des accusations de sorcellerie. Il a également menacé de s’en prendre à la famille de son voisin, sous le regard médusé des habitants du quartier. Peu après, son frère aîné, K. Jean Baptiste, l’a rejoint, et tous deux ont poursuivi leurs accusations en détruisant une caméra de surveillance et le bouton de la sonnette installés au niveau du portail.

Alerté par le bruit, S. Boukari a observé la scène sur le moniteur de sa caméra de surveillance. Face à la panique de son épouse et de ses enfants, il a sollicité l’intervention de la brigade anticriminalité (BAC). À l’arrivée de cette dernière, les deux frères ont pris la fuite, mais sont revenus poursuivre leur altercation une fois la BAC repartie. Face aux graves accusations et aux menaces, S. Boukari a porté plainte.

Une rancune vieille de six ans

Lors de son audition au parquet, K. Sylvain a déclaré qu’en 2018, il avait surpris son voisin en train d’enfouir des gris-gris dans un trou devant leur cour aux environs de 5 heures du matin. Selon lui, lorsque S. Boukari l’a aperçu, il s’est enfui précipitamment. C’est cet événement qui l’a poussé, six ans plus tard, à exiger des explications sous le coup de la colère, ce qui a entraîné la dégradation du matériel de surveillance.

Interrogé par le Tribunal sur cette longue attente avant d’agir, il a répondu : « Je ne savais pas qu’on pouvait porter plainte. »

De son côté, K. Jean Baptiste a nié toute implication dans la destruction des biens. « J’ai cru ce que mon frère m’a dit à propos du voisin, mais je suis allé pour le calmer », a-t-il déclaré.

Le Tribunal a alors cherché à comprendre ce qui avait poussé les frères à agir en 2024 pour des faits remontant à 2018. K. Sylvain a expliqué que leur père leur avait demandé à l’époque de laisser tomber l’affaire. Mais après plusieurs malheurs familiaux – la disparition de son frère et le décès de sa sœur – il en est venu à la conclusion que ces événements étaient liés aux pratiques de leur voisin, ce qui l’a poussé à aller lui demander des comptes.

La victime réfute les accusations

À la barre, S. Boukari a expliqué qu’un simple mur séparait sa cour de celle des accusés. Installé dans le quartier de Kamboinsin depuis 2006, il a vu ses voisins s’installer dans une maison de fortune construite sur une parcelle divisée en deux.

Il a raconté qu’en entendant les coups sur son portail, il avait consulté son moniteur de surveillance et constaté que les frères K. tambourinaient sur la porte avec violence en criant devant tout le quartier qu’il avait enterré des gris-gris pour leur porter malheur.

Selon lui, lors des auditions à la gendarmerie, la mère des prévenus a révélé que c’est son pasteur qui lui avait affirmé que leur voisin les avait « wackés » pour les rendre pauvres. « Je suis dans une maison à étage, pourquoi irais-je leur jeter un sort ? » s’est interrogé S. Boukari.

Le parquet a également voulu comprendre pourquoi les accusés avaient attendu six ans pour agir.

« Après ces faits, il y a eu des événements malheureux dans notre famille : mon frère a disparu, ma petite sœur est décédée… J’ai réfléchi à tout ça », a répondu K. Sylvain.

Le procureur a souligné que si le portail n’avait pas été fermé, la situation aurait pu dégénérer en drame.

« Vous êtes très jeunes et vous pensez que c’est quelqu’un qui est à l’origine de votre situation. Enlevez cette idée de votre tête et travaillez dur, vous réussirez. En plus, vous étiez ivres ce jour-là », a-t-il ajouté.

Des accusations sans fondement

S. Adja, l’épouse de la victime et institutrice de profession, a confirmé les déclarations de son mari. Elle a précisé que la mère des accusés leur reprochait d’avoir prospéré rapidement. « Ils nous ont trouvés avec des motos, puis nous avons construit un R+1 et acheté des voitures. Entre-temps, leur fils a disparu et leur fille est morte. Voilà pourquoi ils pensent que mon mari les a wackés », a-t-elle rapporté.

K. Philippe, le père des accusés, a reconnu que ses enfants avaient un mauvais comportement et a demandé la clémence du Tribunal.

Le procureur lui a alors rappelé que K. Jean Baptiste avait déjà levé la main sur lui et lui a demandé pourquoi il n’avait pas porté plainte. « Ce sont mes enfants, ils sont revenus me demander pardon », a-t-il répondu.

Le procureur a insisté sur l’importance de la discipline : « Vous ne punissez pas vos enfants et voilà le résultat. Si vous ne le faites pas aujourd’hui, vous le regretterez plus tard. »

Les prévenus ont nié toute consommation de drogue, ce qui a conduit le procureur à s’interroger : « Il n’y a aucune raison objective pour ce que vous avez fait. »

Le Tribunal a alors souligné l’absurdité de leurs accusations : « La victime est ingénieur, il a travaillé dur et a fait de longues études. Sa femme est institutrice. Si vous étiez à leur niveau et que vous n’arriviez pas à vous en sortir, on pourrait comprendre votre frustration. Mais vous êtes apprentis maçons et vous accusez des gens d’être à l’origine de votre pauvreté. »

Un verdict en attente

Le parquet a requis la relaxe au bénéfice du doute pour K. Jean Baptiste concernant la destruction de biens, mais a jugé que l’infraction d’accusation de sorcellerie était avérée pour les deux prévenus.

« Certes, ils sont jeunes et n’ont pas d’antécédents judiciaires, mais ils ont besoin d’être recadrés, car la violence est devenue leur mode de fonctionnement. Ils en sont même arrivés à frapper leur père », a déclaré le procureur, avant de requérir une peine de 12 mois de prison, dont 6 mois ferme, ainsi qu’une amende de 250 000 FCFA avec sursis.

La victime n’a, pour sa part, rien réclamé.

Le Tribunal a mis le verdict en délibéré pour le 18 février 2025.

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Ahmadou SERIGNE
Zoodomail.com

 

Agence Sainte Rita

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