Ainsi la première édition de la JTC a eu lieu le 15 mai 2024. Marquée en amont de la date, le jour-même et le lendemain par des activités culturelles et cultuelles sur toute l’étendue du territoire, cette édition a connu, au vu des cérémonies, des déclarations et des ressources matérielles investies, un succès indéniable. L’Association pour la promotion des valeurs traditionnelles africaines (APVTA), l’Association pour la tolérance religieuse et le dialogue intercommunautaire (ATR/DI) et le Cadre de réflexion et d’orientation sur l’État de droit et la démocratie (CROD) s’en réjouissent ; avec raison, dans la mesure où elles ont en commun la promotion des coutumes et des traditions en ce qu’elles ont de compatible avec les lois et règlements de la vie en République. Nos organisations s’en félicitent également, car dès l’annonce de l’institution de cette journée par le Conseil des ministres du 06 mars 2024, des polémiques musclées ont été entendues soit dans des lieux de culte, soit dans la rue, soit sur les réseaux sociaux ; lesquelles polémiques ont pu laisser penser que l’événement virerait à une sorte de pugilat entre certaines confessions religieuses ou entre certaines déclinaisons doctrinales religieuses.
Heureusement, il n’en a rien été et c’est à l’honneur des acteurs des coutumes et des traditions, des animateurs de la société civile, des leaders des religions abrahamiques et des responsables de l’administration publique qui ont, à des degrés divers, mené des actions de communication pour faire retomber la tension. Il sied que cette dynamique soit maintenue, renforcée et promue par les différentes composantes de la population qui se doivent de s’approprier et de prendre en exemples les discours apaisants, les comportements oints de tolérance et les œuvres de grande valeur humaine des légitimités coutumières, traditionnelles et religieuses. Il est également impératif que les institutions républicaines et académiques compétentes et les organisations de la société civile persévèrent dans leur travail de collecte, de traitement et d’explication des mécanismes spécifiques de fonctionnement de nos sociétés traditionnelles, de clarification des concepts et d’approche inclusive dans la perception des dynamiques qui rythment la vie de notre collectivité politique.
Relations entre les coutumes, les traditions et les religions abrahamiques : de sérieuses sources d’inquiétudes
Cela étant, s’il est légitime de se satisfaire du climat dans lequel baignent les relations, au moins officielles, entre les communautés religieuses, il y a lieu objectivement d’avoir de sérieuses inquiétudes avec l’augmentation des pôles de contradictions (entre certains leaders des religions abrahamiques et certaines légitimités coutumières et traditionnelles, entre communautés socio-ethniques, entre soutiens inconditionnels du régime et voix indépendantes, opposition suscitée et entretenue entre élites issues de l’école occidentale et les autres couches de la société, entre l’Exécutif et la Justice, etc.) et l’exacerbation accélérée des prolepses (positions consistant à réfuter à l’avance toute objection possible) entre les différents protagonistes de l’arène sociale.
Au regard de ce qui précède, au moins trois (03) conditions majeures nous semblent impératives à réunir pour que nos vœux adressés au Créateur aient des chances d’être exaucés et que nos espérances en la naissance d’un futur Etat-nation soit comblées :
D’abord le problème de la compréhension des concepts de coutume et de tradition. En effet, plus d’un Burkinabè, et pas des moindres, confond coutumes et traditions d’une part et religions traditionnelles africaines (RTA) de l’autre. Certes, il est vrai que la religion est un des éléments constitutifs des coutumes et des traditions, mais il est des coutumes et des traditions qui n’entretiennent aucun lien avec les pratiques religieuses traditionnelles. Autrement dit, il y a les aspects culturels, séculiers ou laïcs des coutumes et des traditions qui peuvent s’exprimer à travers, entre autres, la musique, la danse, le sport, les techniques agricoles et pastorales, etc. et les dimensions cultuelles à travers les offices religieux abrahamiques ou traditionnels, les offrandes… Ainsi, on retrouve dans le fonctionnement, dans l’organisation, dans la conduite des cultes et des modes vestimentaires des religions abrahamiques bien des produits des coutumes et des traditions subsahariennes sans que cela soit perçu comme une abomination.
Les coutumes et les traditions ne sont pas que religieuses au sens des RTA
À ce propos, le journaliste et écrivain prolifique Henri Hatzfeld (Les racines de la religion; Tradition, rituel, valeurs, 1993 Le Seuil) différencie ces deux concepts de la manière suivante. La coutume est la manière à laquelle la plupart se conforment, elle indique d’abord des comportements et des pratiques, une façon commune d’agir dans un groupe social à un moment donné. La tradition -lorsqu’on parle de tradition religieuse, fait plutôt penser à des idées, des croyances, et à leur transmission dans le temps. D’un côté donc, plutôt les activités communes en un moment, de l’autre, plutôt les idées conservées à travers la durée. Par voie de conséquence, s’il est un fait que le volet religieux de la Journée des coutumes et des traditions revient de plein droit aux chefs coutumiers et traditionnels, le champ des expressions culturelles incluent et concernent l’ensemble des Burkinabè, quelle que soit leur appartenance religieuse. C’est en cela qu’arguer que les habitants de la région du Sahel, du fait de leur très forte islamisation, ne sont pas concernés par la Journée des coutumes et des traditions procède certainement d’une ignorance des champs lexicaux et sémantiques des concepts de coutume et de tradition. Si les contours définitionnels de ces vocables ne sont pas circonscrits convenablement, ils portent en eux des germes susceptibles d’effriter davantage la cohésion sociale déjà durement éprouvée par la crise sécuritaire actuelle.
Ensuite, l’in/adéquation entre les principes éthiques d’intégrité que nous proclamons et nos pratiques en matière de gouvernance de nos familles, de nos localités, de nos administrations, de nos organisations associatives et religieuses et de nos entreprises. En d’autres termes, les activités des humains, quelle que soit la sphère concernée, doivent être empreintes d’un minimum de valeurs sans lesquelles elles peuvent se révéler séculièrement improductives. Parmi ces valeurs, on peut citer la droiture, l’honnêteté, l’humanisme, l’équité, l’inclusion, la justice, la vérité. Dans cette éventualité, l’improductivité peut très vite interprétée, selon les représentations cosmogoniques et nos systèmes de croyances, comme la manifestation du refus de l’être suprême d’exaucer nos vœux car nous n’en serions pas dignes. La pluie bienfaisante du 16 mai 2024 est, par exemple, dans l’interprétation traditionnelle des faits naturels, le signe que Dieu et les ancêtres ont entendu nos supplications mais, dans le même temps, pour qu’ils accèdent à nos requêtes, il nous faut encore faire des efforts.
A l’abreuvoir de la dextérité managériale et de la rigueur morale de nos aïeux
Enfin, dans la mesure où nous sommes au lendemain de la tenue des assises nationales sur la suite de la transition qui ont réorienté fondamentalement et stratégiquement la gouvernance de notre pays, nos organisations, sur la base de leur appartenance à la société civile, de leurs textes et de l’ode rendue à nos valeurs ancestrales par nos gouvernants, notent que l’histoire de la naissance, de la construction et du renforcement des Etats d’un côté et l’avènement des Etats-nations de l’autre ne se passe certes pas sans douleur, plus ou moins vive ; mais elles relèvent également que les dynamiques internes des sociétés apportent des preuves qu’à un moment ou à un autre, les protagonistes doivent parvenir nécessairement à une charte, un pacte, un contrat ou en tout à une entente où chaque partie, tout en perdant un peu, gagne aussi un peu. Ces modus vivendi se fondent certainement sur les rapports de forces dont ils sont, en fait, les reflets tout en contenant un des principes de base de la philosophie politique de Jean-Jacques Rousseau dans Le contrat social à savoir : « Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir. ». C’est aussi ce que nos ascendants ont mis en œuvre en se basant, entre autres, sur les dispositions suivantes de nos coutumes et traditions : « Le pouvoir est synonyme de tolérance quelles que soient les épreuves auxquelles la communauté fait face car c’est une des exigences pour mobiliser toutes les sensibilités et les énergies et affronter efficacement le péril en la demeure » : à ne pas assimiler au laxisme ; « Le berger de l éléphant accepte tantôt de subir la volonté de son pachyderme, tantôt il feint de la subir » ; cela qui induit qu’il faut parvenir, par réalisme, à un savant équilibre entre le respect des exigences du peuple et la dextérité managériale dont il faut faire preuve pour l’amener à accepter des décisions qu’il aurait autrement rejetées ; « Le chef est telle une poubelle, il reçoit toutes les ordures quelles qu’en soient la qualité et la quantité ». En reconnaissant la légitimité du gouvernant, le gouvernant impose ainsi au gouverné le fait de reconnaître sa légitimité à lui comme membre de la communauté et d’être traité de façon égale ou égalitaire par le gouvernant. Ces acquis de nos sociétés segmentaires multimillénaires et de nos monarchies millénaires ou multiséculaires devraient être capitalisés et pratiqués pour une vie en société plus cohésive. A cet instant critique de la vie de notre nation, en tenir compte est non seulement souhaitable mais aussi et surtout impérieux.
Au demeurant, les empires du Ghana, du Mali, du Songhaï et du Wassoulou et les royaumes mossé, ashanti et de Gouiriki ne se sont pas seulement construits grâce à la lance, à l’arc, à la flèche et à l’intrépidité de leurs étalons. La charte du Foumagan, le pacte qui a lié les Dagomba-Mossé aux peuples qui les ont précédés sur les terroirs (Bissa, Dogon, Fulsé, Nionossé, Ninsi, Gourounsi, etc.) du centre de notre pays et le traité entre Samory Touré de l’empire du Wassoulou et les communautés de l’Ouest Haute-Volta procédaient aussi de cette habileté politique.
Pour que la JTC censée être une solution ne devienne pas source de conflit interreligieux
S’agissant de la JTC, elle comble des vides jadis perçus comme l’expression de chaînons manquants capables de fluidifier les relations entre les adeptes des différentes religions et des différentes communautés. Dans cette optique, l’État qui, à travers les pouvoirs publics, incarne l’intérêt général et est détenteur de la puissance légitime, a l’obligation de rappeler à l’ordre et (même) de sévir contre les citoyens qui, au nom de leurs convictions religieuses, confessionnelles ou doctrinales, tiennent des discours intolérants et peuvent, de ce fait, être coupables de troubles à l’ordre public. Par ailleurs, il reste que les louanges que méritent, sans doute, ces coutumes et traditions n’auront de sens au plan moral et d’effet à l’échelle de notre vie en société qu’à condition que nous manifestions davantage de supplément d’âme dans nos relations à autrui et plus de proximité avec les croyances et les dogmes définissant nos rapports avec le sacré.
De par le monde et même à l’échelle de notre pays, l’histoire nous enseigne qu’en tant que collectivité, la construction d’une communauté de destin des êtres humains est nécessairement rythmée par des conflits dont l’occurrence est en lien avec son horloge et sa logique propres. Néanmoins, l’impérativité de trouver des solutions dynamiques à ces conflits est une des voies royales pour nous éviter de courir au suicide collectif.
PH.lefaso.net
Fait à Ouagadougou le 27 mai 2024
Ont signé :
Pour l’Association pour la promotion des valeurs traditionnelles africaines (APVTA), le Président Dr Dramane KABORE
Pour l’Association pour la tolérance religieuse et le dialogue intercommunautaire (ATR/DI), le Président Issaka SOURWEMA Dawelg Naaba Boalga
Pour le Cadre de réflexion et d’orientation sur l’État de droit et la démocratie (CROD), le Président Paala TOUBGA
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