Souillure de l’ambassade avec des excreta : est-ce l’observation et l’expression des valeurs endogènes tant clamées de nos jours ?(S'interroge un citoyen)

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D’abord sur les réseaux sociaux et les médias sociaux, ensuite sur certains médias traditionnels et enfin dans la livraison n° 11 124 du vendredi 5 au dimanche 7 juillet 2024 du quotidien L’Observateur Paalga, j’ai regardé, écouté et lu soit des vidéos, soit des reportages ou soit enfin des commentaires ou des points de vue sur la manifestation organisée devant l’ambassade de France le vendredi 28 juin 2024 par les « wayiyans », surnom donné aux soutiens inconditionnels de la Transition et particulièrement du capitaine Ibrahim Traoré, le désormais président du Faso suite à la volonté des participants aux assises nationales du 25 mai 2024.

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à l’instar de M. Kiswendsida Rodrigue Kiemtoré, ce « patriote meurtri », dont L’Observateur Paalga a publié la lettre ouverte titrée Le « bindou » de la honte adressée au président I. Traoré dans sa livraison ci-dessus citée, je suis profondément sidéré non seulement par la bassesse dont ont fait preuve les wayiyans en utilisant des déjections humaines pour badigeonner les murs et portails de cette mission diplomatique mais je le suis davantage vis-à-vis du silence et de l’inaction des autorités compétentes : du ministre en charge de la sécurité à celui des affaires étrangères en passant par le président de la délégation spéciale de la commune de Ouagadougou.

Ma sidération est d’autant plus grande et profonde que ces autorités, d’habitude très aptes à réprimer (même) les velléités de manifestation (n’en parlons pas des manifestations elles-mêmes) de ceux qui pensent différemment d’elles, deviennent subitement muettes et abouliques dès lors que ce sont les thuriféraires et autres caudataires qui décident délibérément d’ignorer ce que disposent les lois et règlements de la République et de s’octroyer des espaces de liberté sans limite aucune et surtout au détriment des autres Burkinabè dont le seul tort des étant de penser autrement.

Une profanation volontaire, donc éhontée, de nos valeurs endogènes

Certes, l’expression valeurs endogènes comporte des aspects équivoques et, en dernière instance, suspects en ce qu’elle sous-entend qu’il y a des valeurs exogènes qu’il faut jeter par-dessus bord en escamotant à dessein le fait que ce qui est endogène est bien souvent la résultante d’un processus plus ou moins long et d’une sédimentation plus ou moins réussie d’un ensemble d’éléments exogènes. Mais j’ai tout de même décidé, dans la situation présente, d’épouser dans la logique des apologistes des valeurs endogènes même si, en plus des éléments équivoques, certains assimilent impertinemment l’endogénéité à tout ce qui est anti-occidental ou à tout le moins non-occidental et « intrinsèquement » subsaharien.

Cela dit, il sied de se poser la question de savoir si l’acte posé par les wayiyans et le silence des autorités participent de nos valeurs endogènes qui sont ointes d’une certaine sacralité ? A l’évidence, c’est non ! Et, à moins d’être déjanté, aucun des soutiens de la Transition ne peut publiquement expliquer encore moins justifier l’acte ignoble qu’ils ont posé le vendredi 28 juin 2024 à l’ambassade de France. Par ailleurs, il serait injuste à l’endroit de ceux-ci que de passer sous silence l’attitude pour le moins bouleversante du gouvernement. Le sort subi par la mission diplomatique française est assimilable à une profanation de nos valeurs relatives aux perceptions et aux représentations que nous avons de la défécation et des excréments.

D’abord déféquer est un sujet de honte induisant le silence, l’intimité, le repli sur soi et la peur d’être surpris dans une si inélégante position. De plus, les excréments humains étant nauséabonds, ils provoquent ainsi du dégoût et sont chargés de fortes connotations négatives dues à la répulsion visuelle et olfactive qu’ils suscitent. En outre, les maladies et les malheurs (selon la cosmogonie subsaharienne) dont ils peuvent être les sources ajoutent leur part de contenu péjoratif dans l’appréhension que la conscience collective se fait des excreta humains. En somme, les déchets en soi et la représentation que la société en fait nourrissent des sentiments de rejet à leur endroit.

« Si tu ne veux accueillir l’étranger, chasse ta mère du village ! »

Il est donc un fait, en Afrique subsaharienne et donc au Burkina Faso, que même entre les membres d’une maisonnée, les excreta sont loin d’avoir une connotation péjorative. S’il en est ainsi entre les habitants de la même maison, il l’est davantage entre ces habitants et les étrangers. Autrement dit, ce que l’on considère comme déshonorant pour la parentèle, on le trouve encore plus dégradant pour l’étranger dont le statut, quel que soit ce qu’on pense de lui, fait obligation à ses hôtes de le traiter avec tous les honneurs. Cela s’appelle l’hospitalité, une composante essentielle de la valeur d’intégrité censée être notre boussole mais dont les manifestants du 28 juin 2024 se foutent éperdument. Ce traitement spécial réservé à l’étranger plonge ses racines dans les éléments culturels suivants :

 A l’exception de quelques sociétés subsahariennes qui pratiquent l’endogamie lignagère (les mariages entre cousins par exemple), la plupart des communautés ont, pour norme, l’exogamie lignagère, clanique ou villageoise (mariages entre personnes de lignages, de clans ou de villages différents). En d’autres termes, la majorité des Subsahariens sont nés de femmes étrangères à leur famille, à leur lignage, à leur clan ou (peut-être) à leur village. C’est pourquoi chez certains groupes socio-ethniques, on a coutume de dire ceci : « Que celui qui n’aime pas l’étranger commence par chasser sa propre mère » ;

 Tout humain est potentiellement un étranger dans la mesure où la vie en société rime avec déplacements, visites, voyages au cours desquels il est appelé à rencontrer des inconnus pour lesquels il est un étranger. D’où l’adage selon lequel « Il n’y a pas de race d’étrangers. Est étranger celui qui quitte sa maison, son village, sa ville ou son pays pour se rendre chez quelqu’un d’autre dans un autre village, dans une autre ville ou dans un autre pays. » De ce fait, nos ascendants cédaient volontiers leur case à l’étranger et dormaient à la belle étoile ou offraient généreusement leur plat à ce dernier et passaient la nuit à jeun.

 Nos ascendants nous ont également enseignés que « Le développement d’une localité n’est pas seulement le fait de ses habitants et de leur descendance. C’est aussi et surtout la résultante de la contribution des personnes venues d’ailleurs et qui s’y sont installés ».

 Dans le cas de la France et de son ambassade, les manifestations récurrentes d’hostilité depuis octobre 2022 sont d’autant moins compréhensibles que la mission diplomatique est au Burkina Faso avec l’accord de nos autorités ; que l’occupation de ce lieu est consacrée par des règles de droit nationales conformes aux prescriptions des instruments internationaux que le Burkina Faso a ratifiés ; qu’au lieu de souiller l’image du Burkina Faso en salissant ainsi les locaux de cette mission française, il aurait été plus courageux de rompre purement et simplement les relations diplomatiques avec le pays de Molière.

Au regard de la croissance tendancielle et régulière des tensions diplomatiques entre le Burkina Faso et certains pays européens et nord-américains d’une part et d’autre part entre notre pays et certaines organisations régionales et internationales (dont l’ONU et certaines de ses organisations spécialisées), il faut se nourrir tout de même de l’espoir (peut-être vain) que l’ignominie qui s’est produite le 28 juin 2024 ne se reproduira à l’ambassade des Etats-Unis, devant le Haut-commissariat des Nations-Unies aux Droits de l’Homme (HCDH) et face à l’immeuble des Nations-Unies. Cette inquiétude se fonde sur les manifestations d’hostilité des wayiyans qui s’y sont déjà déroulées sans que les dépositaires de l’autorité publique daignent lever le petit doigt.

K.Z

 

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