Ceci est une réflexion de M.DIALLO Mamadou, en lien avec les coups d'état militaires en Afrique, parvenue à Zoodomail.com
J’avais, à l’avènement du MPSR 2, publié le 17 octobre 2022, une tribune intitulée : « LA RECURRENCE DES COUPS D’ETAT MILITAIRES AU BURKINA, UNE TENDANCE LOURDE GRAVISSIME PORTEUSE DE GERMES DE GUERRE CIVILE : ALORS QUE FAIRE ». Elle engageait in fine une hypothèse sur l’insertion de l’institution militaire dans la culture politique des élites post indépendance.
Je l’avais énoncé en substance ainsi :
« Cette tendance lourde (celle des coups d’Etat au Burkina) est aussi à l’œuvre pour l’essentiel dans les armées ouest-africaines qui n’ont pas encore réussi à construire des complexes militaro-économiques à l’instar de certains pays d’Afrique du Nord (Égypte, Algérie, Soudan, etc.) et dans une moindre mesure le Sénégal avec l’action sur les élites de ce pays de la toute-puissance économique, politique, culturelle et sociale de l’islam confrérique d’obédience soufie. C’était sans doute l’ambition (construire un complexe militaro-économique) du capitaine président Blaise Compoaré qui a guerroyé au Libéria, en Côte d’Ivoire etc.…, à la recherche de richesses à piller et à accumuler.
Ainsi, dans notre situation actuelle, on peut remarquer qu’après l’effort de création de forces spéciales et d’amélioration du renseignement comme forces tactiques de grande importance contre les GAOD (Groupes armés d’obédience djihadiste), celles-ci sont à présent engagées dans la préparation de coups d’État, ainsi que la protection des vainqueurs du moment contre toute velléité de contre-coup d’État.
Le coup d’État du 30 septembre 2022, l’illustre à souhait avec en prime qu’il s’agit d’une crise au sein du MPSR qui en est la résultante comme avant elle, celles du CSP et du CNR.
Contrairement aux crises au sein des partis politiques qui conduisent à des défections et à l’atomisation soutenue et continue de la classe politique civile qui n’ont pas encore conduit à des risques d’affrontements meurtriers de grande ampleur, nous devons à présent retenir notre souffle et craindre le pire cauchemar à toute nouvelle crise au sein du MPSR et à la montée en puissance d’autres groupes politico-militaires concurrents qui attendent sans doute aussi leur heure.
Pour qui observe bien la situation marquée d’une part, par l’appel à la rue et l’instrumentalisation du sentiment anti-français par la fraction momentanément victorieuse des capitaines au sein du MPSR et d’autre part, l’attitude des différentes composantes de nos FDS les plus engagées dans la lutte contre les GAOD face au coup d’État du 30 septembre 2022, il semble évident que d’autres crises et risques de fractures au sein des FDS se profilent à l’horizon en cas d’évolution négative de la situation sécuritaire. Pour notre malheur, les GAOD savent bien que ce sont eux qui dictent le tempo et sont la source de pression déstabilisante de la cohésion sociale et au sein de nos FDS.
C’est cette perspective de délitement gravissime du Pays et de guerre civile que les Assisses Nationales des 14 et 15 octobre et le Conseil constitutionnel ont consacré en faisant du président du MPSR, le Chef de l’État, le Président du Faso et le Chef suprême des armées.
C’est cette politique de l’autruche qui va aggraver notre situation que le monde entier considère comme la plus préoccupante en Afrique de l’Ouest ».
Chacun de nous a, depuis les assises d’octobre 2022, fait sans doute son expérience et en toute honnêteté et lucidité peut à présent situer ses propres responsabilités.
Il est possible à présent d’approfondir mon hypothèse relative aux causes de l’insertion des armées ouest-africaines dans le jeu politique et d’en tirer les conséquences pour l’avenir de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel en considérant tout particulièrement deux dynamiques qui s’alimentent l’une et l’autre :
- La montée en puissance des groupes armées djihadistes engagés dans une stratégie politique du chaos par une stratégie militaire d’implosion des Etats-Nation post-coloniaux.
- La bataille géopolitique par guerres proxy, entre la Russie de Poutine-celle des oligarques prédateurs, et l’Occident impérialiste, tous engagés dans la dynamique néo-libérale.
Un premier élément d’approfondissement est que comme toutes les autres institutions de l’Etat-Nation post-colonial, l’armée elle est aussi, n’a d’histoire que celle de sa construction par la puissance coloniale ; elle n’a pas été forgée comme les armées modernes qu’elle tente de mimer, dans des guerres d’Etat pour la construction des Nations et Etats-Nation sur la longue histoire ; forger son caractère républicain s’avère alors une gageure. Etant la seule institution organisée et armée avec une certaine disciple, cela ouvre la voie à son instrumentalisation et à son insertion dans le jeu politique de la conquête et de l’exercice du pouvoir d’Etat. On se souviendra ainsi que dans le cas du Burkina, ce sont les syndicats et les partis politiques dans l’opposition qui ont au travers du mouvement populaire du 3 janvier 1966, demandé à l’armée de prendre le pouvoir. Depuis, l’armée y a pris goût, au grand dam des hommes politiques. Bon nombre de ces derniers surtout dans l’opposition ont désormais fait du coup d’Etat militaire une stratégie de conquête du pouvoir.
Un second élément d’approfondissement de l’hypothèse pourrait être étayé comme suit en ce qui l’Afrique de l’Ouest et le Sahel tout particulièrement : Les complexes militaro-économiques composées d’entreprises diverses pesant lourd dans le PIB du pays et sous le contrôle de l’armée, permettent, l’accumulation de richesses et des politiques de redistributions spécifiques au sein de l’armée, l’acceptation d’un pouvoir civil accommodant et le cas échéant, de les protéger par des coups d’Etat comme cela fut le cas en Algérie, en Egypte et comme cela est présentement le cas au Soudan.
A défaut de tels complexes militaro-économiques dans nos pays, que reste-t-il à l’élite militaire ouest-africaine qui aspire gouverner ?
Tout le monde s’accorde à dire que cette région a renoué avec les coups d’Etat que l’on considérait passés d’époque avec la démocratie parlementaire.
L’argumentaire des putschistes est tantôt le blocage démocratique et de l’alternance, tantôt la dégradation de la situation sécuritaire sous l’action des groupes armés djihadistes. Comme chacun peut le constater les coups d’Etat n’ont apporté ni démocratie et alternance viables encore moins la sécurité.
En Afrique de l’ouest et spécifiquement dans les pays du Sahel, la perspective de mise en place de complexes militaro-économiques légaux et prospères étant plus que problématique, la conquête et l’exercice du pouvoir d’Etat par des coups d’Etat se présente alors comme une voie royale pour une frange importante de l’élite militaire qui va des capitaines aux généraux ; ces coups d’Etat sont préparés par le biais de groupes politico-militaires clandestins au sein des formées armées ; ces groupes sont en réalité des proto-partis illégaux organisés et animés avec l’appui de membres de l’élite civile. Le cas du MPSR dont personne ne connaît la charte interne et les membres, et avant lui, ceux du CMRPN, du CSP, du CNR et du Font populaire qui a opéré la Rectification de la RDP, l’illustrent à souhait.
La conquête et l’exercice du pouvoir d’Etat permet d’accéder à la caverne d’Alibaba ; à savoir le budget et les moyens de l’Etat, des sociétés et des interventions publiques ; qu’alimentent la fiscalité, les PTF, les prêts sur les marchés financiers, les investissements directs étrangers (IDE), les raquettes et la mise sous coupe réglée de l’économie domestique, l’accès à l’économie illicite et criminelle. C’est le fruit de cette conquête qui est la principale source d’enrichissement des élites gouvernantes et de leurs clientèles par diverses modalités de corruption, de détournement et d’abus de biens sociaux.
C’est cela qui permit au capitaine Blaise Compaoré resté in fine militaire, de coopter des élites militaires, politiques, traditionnelles, intellectuelles, économiques, culturelles, sociales et du monde des médias, pour recycler ‘’démocratiquement’’ pour ainsi dire son coup d’Etat militaire du 15 octobre 1987 contre le clan du capitaine Thomas Sankara. C’est cela qui explique sa longévité au pouvoir. C’est le modèle que tente de suivre les putschistes d’ici et d’ailleurs dans la sous-région ouest-africaine.
Le récent coup d’Etat au Niger montre jusqu’où une institution comme l’armée peut être déshonorée dans sa mission de défense des institutions et mise au service d’intérêts personnels, voire d’égos.
La dynamique des coups d’Etat peut à présent compter sur la manipulation souverainiste, démagogique et populiste pour un succès au sein d’une frange minoritaire et bruyante de la jeunesse urbaine nourrie à la vulgate panafricaniste et anti-impérialiste ; elle peut aussi compter sur l’appui d’aventuriers et d’entrepreneurs politiques, voire de pans entiers de l’élite intellectuelle, politique, traditionnelle, économique, religieuse et du monde des médias.
Ainsi, comment peut-on être honnête et sérieux de dire que les putschistes sont plus légitimes et souverainistes que les Chefs d’Etat de la CEDEAO ? Comment peut-on évoquer la légalité et la démagogie souverainiste pour défendre des putschistes au pouvoir. Comment peut-on appeler la CEDEAO à la retenue et être crédible quand on n’a même pas condamné le coup d’Etat au Niger et appelé les Putschistes à libérer le président élu et sa famille retenus en otage et à rétablir la légalité constitutionnelle ? Comment peut-on évoquer le sort des populations quand on oublie la sagesse dont a fait preuve le capitaine Amadou Haya Sanogo au Mali, qui, face aux sanctions de l’UEMOA, a renoncé au pouvoir. On pourrait du reste aussi évoquer le cas du Général putschiste Diendéré dans notre pays. La responsabilité n’est pas là où on semble la chercher.
Notre turpide est telle aujourd’hui que nous avons même trouvé des artifices juridiques pour faire endosser des coups d’Etat à notre conseil constitutionnel. Que nous trouvions normal que notre justice condamne des militaires pour putschisme alors que d’autres putschistes s’installent au pouvoir et font la nique à leur serment et aux institutions judiciaires.
Comment alors se présente l’avenir au regard d’une telle dynamique ?
Bien naturellement les groupes armées djihadistes trouvent là un vent favorable au déroulement de leur agenda militaire et politique. Cela veut dire plus d’insécurité, l’extension sous régionale de leur emprise, l’enlisement de nos pays dans la guerre et la dynamique vers l’effondrement de nos Etats.
La bataille géopolitique, principalement entre la Russie des Oligarques et l’Occident impérialiste rentre dans une nouvelle phase guerrière où chacun compte ses alliées et développe ses atouts. Le second terrain de leur affrontement militaire après l’Ukraine est désormais le Sahel. Il est en effet bien naïf de croire que la CEDEAO appuyé par l’Occident impérialiste ne se défendra pas. Cela veut dire plus d’insécurité et un avenir sombre pour la région ouest-africaine et en premier lieu celui des pays du Sahel qui sont en première ligne avec leurs juntes militaires et leurs populations déboussolées, meurtries, sommées de choisir entre la peste et la peste.
Cet avenir plus que probable, n’est cependant pas inéluctable si des mouvements populaires pacifiques se mettaient en marche par des modalités innovantes diverses pour sortir nos pays de la guerre, gagner la Paix, refonder notre vivre-ensemble et l’Etat.
Je vous entretiendrai dans ma prochaine tribune d’une telle perspective en ce qui concerne notre pays, dans l’attente de la publication, avant la fin de l’année, si Dieu me prête vie et santé, d’un Essai qui s’intitulera « Dans la dynamique de la Refondation du vivre-ensemble et de l’Etat au Burkina Faso ».
L’Essai est dédié à la campagne de sensibilisation et de mobilisation en faveur du Dialogue que porte une Pétition en ligne (https://chng.it/BCJ4KFVk).
L’Essai comportera trois parties :
Une première partie soulignera la profondeur historique de nos sociétés villageoises contemporaines à travers leur historicité et tout particulièrement leur capacité de digestion de l’adversité culturelle et politique à laquelle elles ont dû faire face sur la longue histoire.
Une deuxième partie abordera l’insertion du modèle de l’Etat occidental dans les sociétés précoloniales afin de bien souligner l’anomie introduite.
Une troisième partie abordera le paradigme et la dynamique de la Refondation à savoir : Un Etat pour les sociétés villageoises contemporaines, le modèle de notre propre modernité ainsi que la stratégie politique pour son émergence et sa construction en commun.
Comme disait Joseph Ki-Zerbo Nan an Lara an Sara !
Bon courage à nous !
Image illustrative
DIALLO Mamadou : 74 50 18 59.
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