Construire chez les Moosé de Busma : une vision circulaire et cyclique

Submitted by Redaction on
Image
Rima

L’étranger à la société moaaga de Busma pourrait crier au manque de vision de la durée en observant les matériaux utilisés pour la construction des habitations. Les Moosé semblent s’inscrire dans le court terme avec leurs pratiques de construction des maisons et d’autres abris. Ils ne sont pas liés par une éternité. Ils sont les partisans d’un constant renouvellement. Ils adorent le passé qui passe. Ils préfèrent l’oubli qui répare. 

Chez les Moosé de Busma, la vie n’est pas une donnée éternelle. Elle est une réalité en constant renouvellement dont les vivants sont les maîtres qui façonnent leur existence afin de la transformer en œuvre d’art. La vie symbolise la solidarité, l’entraide et l’interdépendance. Toute l’ingénierie de la construction est supportée par cette philosophie du précaire à restaurer en permanence. 

En se référant aux cases sacrées du palais qui sont soumises à la restauration chaque année à la sortie de la saison pluvieuse, l’œil extérieur pourrait crier à un manque de génie du long terme. On pourrait même penser au nom respect de l’Eternel au regard du peu d’égard pour les lieux de cultes. A la différence des mosquées, des églises et des temples, les lieux de culte des Moosé peuvent être de modestes abris à l’image de l’autel royal au marché de Korsmoogo. Le Moaaga n’est pas un adepte du long terme. Le court terme est la finalité même de la vie. Il impose à des villages donnés qui ont la mission de restaurer et de coiffer les cases sacrées du palais un devoir de présence. Il s’instaure entre ces villages et la royauté une relation d’interdépendance fonctionnelle. De manière cyclique, les habitants de ces villages ont l’obligation de satisfaire à leur mission coutumière et traditionnelle vis-à-vis du pouvoir. Il se crée une dépendance du pouvoir vis-à-vis de ses serviteurs. Plus qu’une pratique artisanale ou professionnelle, la mission devient cultuelle et sacrée. Un acte divin s’instaure et confère un rôle social important à ceux qui pourraient ressembler à des ouvriers. 

L’autre symbole fort de la vie qui se renouvelle est la restauration annuelle du hangar du roi, espace de délibération par excellence. Cette salle de conseil de gouvernement est toujours faite en paille et demande un entretien annuel des notables de la Cour royale. Il ne s’agit pas d’un simple travail collectif mais un acte symbolique à forte valeur sacrée. La restauration du hangar royal est avant tout un rite qui comporte une signification d’allégeance au pouvoir. Malgré la modernisation de certains aspects du pouvoir moaaga de Busma, le hangar conserve sa singularité séculaire. 

Le bâti dans le Riungu de Busma incarne le temps qui passe. Ce temps a le pouvoir sur les hommes et sur leurs réalisations. Cela est traduit par les ruines des anciennes résidences royales. Ces palais autrefois resplendissants sont aujourd’hui des ruines. L’œil occidental pourrait voir une incapacité à sauver des œuvres du passé. Pour l’homme de Busma, cela participe à faire oublier un ancien pouvoir qui se fait supplanter par un nouveau. Des anciennes lignées laissent la place à de nouvelles. C’est la force du temps qui s’impose en transformant la grandeur en ruine et substitue le souvenir par une espérance plus belle. Grâce à l’oubli, les gloires passées sont conservées à travers des symboles et des rites. Elles n’empêchent pas les ambitions présentes de s’illustrer pour laisser des traces dans la mémoire collective. C’est cela qui donne la vision circulaire à la philosophie mooaga de Busma. 

Rima

Malgré ce temps qui se déroule et donne la possibilité à des générations de se passer le relais, la société vit dans un monde de permanence au travers de ses pratiques et de ses mentalités. Il y a un paradoxe entre les faits historiques des puissants qui se succèdent et la vie ordinaire des peuples au bas de l’échelle qui semble s’inscrire dans une dynamique de permanence. Il y a toujours dans cette contradiction une philosophie du court terme qui rappelle la solidarité et l’interdépendance entre les hommes et au sein des communautés. Le travail collectif et la complémentarité d’action se conjuguent pour donner un sens à la vie. Le Rima est grand grâce au peuple et le peuple est préservé grâce au Rima. Le maître est un humble serviteur et le serviteur est un maître consciencieux. C’est le sens profond du pouvoir chez les Moosé de Busma car l’importance de la colline se mesure au nombre d’arbres qui la peuplent. Et c’est cela qui s’appelle « Riungu » ou « Assemblée ».  

Busm Kéoog-naaba Koobo (Historien) 

Les trois dernières publications