Art et culture : « Si c’est un long fleuve tranquille, il n’y a rien qui va aller », Sada Dao, scénographe

Submitted by Redaction on
Image
Sada Dao

Scénographe hors pair, il est l’un des incontournables au Burkina Faso en particulier et Afrique, en général. Il a appris les techniques en République de Côte d’Ivoire et au Burkina Faso, puis, a su apporter sa touche dans son métier de scénographe. Son parcours de combattant lui a valu plusieurs distinctions. L’équipe de zoodomail.com est allé à la rencontre de Sada Dao, le 30 janvier 2024,  enfin qu’il nous révèle son parcours qui intéresse plus d’un. 

 

zoodomail.com : Quel a été votre parcours scolaire et professionnel ?

Sada Dao : J’ai eu un parcours académique assez bref. Je suis venu au Burkina pour continuer les études, donc j’ai fait la classe de 3ème et 2nde  et après, j’ai essayé de toucher à l’art. Ma première rencontre avec l’art s’est faite en 1996 où j’ai fait la rencontre d’un monsieur du nom de Fousséni Compaoré, qui est aujourd’hui professeur en arts plastiques au niveau de l’Inafac (Institut national de formation en art et culture), au quartier Gounghin de Ouagadougou. J’ai eu des attestations en arts plastiques avec ce monsieur dans le cadre des formations que le ministère mettait en place. 

Après, j’ai continué à exercer le métier dans différents pôles, j’ai rencontré des institutions comme la compagnie "Feeren" où j’ai travaillé un peu longtemps. Au fil du temps j’ai fait la rencontre des danseurs comme la compagnie « Salia ni Seydou », dans laquelle j’ai accompagné les premières éditions de « Dialogue de corps » pour l’aménagement des espaces. Après j’ai fait la rencontre du CITHO) (Carrefour international du théâtre de Ouaga) où j’ai eu à faire mes premiers pas dans la scénographie dans les années 2006. 

 

 

Qu’est-ce qu’un scénographe ?

Dans le cadre artistique, la scénographie est de faire la conception d’un espace de représentation, donc, c’est y compris les spectateurs, y compris les artistes sur la scène et y compris l’environnement où le spectacle va se tenir. Au-delà de cela, la scénographie peut encore toucher d’autres horizons comme tout ce qui est infrastructures dans une ville ou dans un pays. Elle a sa place parce que, pour faire un lotissement, quand tu vas arriver à l’architecture, comment est-ce qu’on fait le découpage des différentes parcelles, qu’est-ce qu’on propose aussi pour les plus jeunes, quels sont les écoles qu’on met en place et qu’est-ce qu’on met autour de ces écoles, les lieux de divertissements, comment est-ce qu’on peut l’aménager ? Cela est une question scénographique, qui n’est pas forcément artistique mais qui est sur le plan du développement.

Pourquoi avez-vous décidé de faire ce métier, qui au départ était peu connu ?

J’ai quitté tôt les bancs et je suis allé dans une entreprise du bâtiment, il y avait pleins de métier autour, comme la menuiserie, la soudure, la peinture et autres. Pour moi, cela a été un facteur qui m’a fait avoir un plus dans la scénographie. En 1996, on ne connaissait pas ce que c’est que la scénographie. J’ai vraiment embrassé le métier de scénographe lorsque j’ai fait la rencontre d’un scénographe français, j’ai été un de ses stagiaires et j’ai même eu une attestation avec lui.

Quel souvenir vous a le plus marqué dans votre carrière de scénographe ?

J’en ai plusieurs, qui ont été très importants dans mon parcours. J’ai fait la rencontre de Amadou Bourou (figure de proue du théâtre et du cinéma burkinabè), pour moi cela est déjà un élément assez important. Aussi, j’ai fait un travail en Belgique où la première fois, une équipe de créateurs d’un spectacle de théâtre est venue à Ouaga, c’est-à-dire l’auteur de la pièce et le metteur en scène de la pièce qui sont belges, sont arrivés, et on leur a parlé de moi. Ils sont venus à ma rencontre et ils ont fait un casting. C’était donc la première fois qu’en scénographie, on fait un casting, dont j’y ai pris part, après ils sont repartis et ils m’ont pris dans le projet. Quand on est arrivé en Belgique, on a fait le projet pendant 4 mois et pendant ce temps, la création scénographique a été faite et on a pu jouer. Quand nous sommes rentrés, je me rends compte ensuite que la scénographie a été primée meilleur scénographie en critique en Belgique. Cela a été quelque chose d’exceptionnelle pour moi et qui me marque jusqu’à nos jours.

Est-ce qu’on peut dire vous êtes l’un des pionniers à avoir fait de sorte que le métier de scénographe ait une bonne base solide ?

Pionner, ce sont les gens qui le diront, mais pas moi. Mais je sais que j’ai été aussi en partie dans des propositions, mais sinon, quand on va parler de pionner, au Burkina déjà, on a Papa Kouyaté qui est quelqu’un qui nous a amené là où nous sommes aujourd’hui et il y a d’autres personnes qu’on a rencontré et qui viennent d’ailleurs, qui ont suscité cette envie de devenir scénographe. 

Je profite remercier d’autres institutions comme le CITHO, les Récréâtrales ou le Théâtre Evasion de Ildevert Medah et pleins d’autres espaces qui ont existé et, c’est pour cela que ces genres de métiers ont pu avoir une place. Donc les pionniers, c’est d’abord eux et, je pense que c’est d’autres personnes qui diront que je fais partie de ceux-ci. 

C’est quoi le projet « Faufilés » ?

« Faufilés » est un projet que j’ai eu à réfléchir avec une personne qui vit en France, qui  a travaillé avec moi et c’était pendant le Covid. A cette période, j’étais à Ouagadougou et j’étais aussi bloqué ici, je passais mon temps au théâtre Soleil. Il y a eu l’appel à projet de l’Institut Goethe qui voulait qu’on fasse des propositions en étant seul dans son espace et c’est là que j’avais déjà imaginé ce projet "Mètre carré", comme un être emprisonné dans un carré et cet espace, je l’ai commencé en le définissant comme un espace de représentation. Comment un artiste peut évoluer dans un petit espace. J’arrive ensuite en France avec le projet "Mètre carré" dans mon école, à l’école des beaux-arts Clermont-Ferrand et, je propose une réflexion recherche autour de l’exposition de l’être humain. A travers « Mètre carré », je trouve que c’est déjà une vitrine où on te place là-dedans. Là-bas aussi, par rapport à la crise sanitaire, les gens se retrouvaient dans leur chambre salon ou entrer-coucher, c’est comme si tu es exposé, c’est comme si tu es une œuvre d’art posée. Donc je vais sur ce cadre de recherches par rapport aux êtres humains qui ont été exposés, qui s’appelaient les "Zos humains", où on exposait les êtres humains, surtout les africains en Europe et autres. 

C’est dans ce cadre de recherches que le projet « Faufilés » est né. Faufilés, c’est comme une blessure, une déchirure, il faut le recoudre. J’ai donc fait cette proposition à l’école et qui m’accompagne pour qu’on puisse réaliser ce projet de recherches dans laquelle j’ai invité 24 artistes danseurs, comédiens, peintres, sculpteurs, un peu partout dans le monde. 

Après, j’ai essayé d’inviter toutes ces personnes dans un parc. La conception scénographique de ce projet se fait dans les mètres carrés. Tout artiste qui proposait quelque chose, il devait le faire dans un mètre carré. Par la suite, j’ai monté Faufilés, création pour créer un spectacle. Faufilés est une exposition d’œuvres vivantes et là, nous sommes dans un musée, où l’œuvre est statique. Donc, j’ai voulu faire une sorte de spectacle dans un musée et comment aussi aborder la question de la restitution des œuvres d’art en Afrique. 

 

Est-ce que votre parcours a été un long fleuve paisible ?

Si c’est un fleuve tranquille, il n’y a rien qui va aller, il faut des vagues. Il y a proverbe qui dit qu’il faut suivre toujours la direction du vent. Bien-sûr, les vagues et le vent vont ensemble, donc déjà, quitter la Côte-D’Ivoire et venir au Burkina et essayer de mettre quelques institutions en place, dont instaurer Face-O-Scéno et, quatre ans après, je suis parti et je suis allé à Bobo Dioulasso et j’ai remis une autre structure en place, puis partir pour des études en France et avoir des diplômes pour pouvoir revenir ici afin de pouvoir dispenser des cours aujourd’hui à l’université, tout cela est satisfaisant. Par rapport à la direction du vent que je subissais, j’ai toujours su attraper une branche et ne pas me laisser emporter par celui-ci. Les vagues ont existés et existent, j’arrive à sortir la tête et cela peut constituer une autre idée pour un autre projet et, cela est aussi une qualité, surtout quand tu prends toujours le bon côté des choses, cela te donne encore plus de force d’avancer.

Est-ce qu’on peut dire que les difficultés sont des leitmotivs qui vous poussent à aller plus loin ?

Oui, parce que tant qu’on n’a pas de difficultés, notre imaginaire stagne, c’est un peu comme dans la création, quand on crée, il faut beaucoup de diversités pour pouvoir acquérir l’essentiel. Il y a un scénographe camerounais qui dit que "les difficultés d’une création, c’est comme un chien qui pisse à chaque fois qu’il se déplace, c’est pour pouvoir se repérer et revenir là où il a quitté". Il faut toujours voir le bon côté des choses, sinon on n’arrivera pas à accomplir notre destinée.

Quels conseils aimeriez-vous donner à ceux qui voudront emboiter le même pas que vous ?

Il n’y a pas forcément de conseils, c’est une prise de conscience. Pour tous ceux qui veulent emboîter le pas de qui que ce soit, qu’il soit prêt à avoir ses propres vagues à lui. On ne peut pas avoir les mêmes parcours, on ne peut pas être les mêmes personnes parce que, devenir une référence, c’est déjà un élément assez important, mais être une référence dans ce monde aujourd’hui, c’est quoi la référence, c’est quoi la réussite ? Est-ce d’être riche financièrement ? Sinon, je pense que pour ceux qui veulent emboiter le pas, c’est d’être riches avec la rencontre, avec la curiosité, d’aller chercher, d’aller comprendre pour pouvoir exercer n’importe quel métier, surtout dans l’art. L’art, c’est quand même assez large à expliquer mais pour y arriver, la première des choses c’est l’humilité et, on arrive à accoster beaucoup d’intelligence autour de soi. 

 

Quel est votre mot de fin ?

J’aimerais que dans l’avenir, l’on puisse avoir des écoles sur les généralités de l’art, qu’on ait encore une large possibilité de réflexion pour pouvoir faire de nouvelles propositions dans toute la forme artistique qu’on mène aujourd’hui. Dire aux devanciers de croire aux jeunes et de leur accorder de la place pour pouvoir faire des « bêtises » et, s’en rendre compte afin de pouvoir changer de codes pour qu’on ait de nouvelles choses à l’horizon.

Nefertari Ouédraogo

zoodomail.com     

 

Les trois dernières publications